28/04/2025
Exode des musulmans de France ? La méthodologie d'un ouvrage repris par toute la presse mise en cause
Les lacunes dans les données sur l'expatriation sont nombreuses, l'Insee ne collectant pas d'informations sur l'appartenance religieuse. JEANNE ACCORSINI/SIPA / © JEANNE ACCORSINI/SIPA
L'ouvrage La France, tu l'aimes mais tu la quittes, paru le 26 avril et largement couvert médiatiquement la semaine dernière, se veut être une exploration du malaise des Français de culture ou de confession musulmane poussés à quitter le pays en raison de discriminations ou de stigmatisations. « Toute ambition de donner les chiffres est illusoire et naïve » Les auteurs, qui se sont basés sur des entretiens approfondis avec 140 personnes et un questionnaire auquel 1000 personnes ont répondu en 2022, évoquent « des milliers de Françaises et de Français » partant, sans fournir de chiffres exacts. Selon les dires d'Olivier Esteves, l'un des co-auteurs et chercheur à l’université de Lille, à Libération, ils ont « fait exprès d’être imprécis » car « toute ambition de donner les chiffres est illusoire et naïve ». La suite après cette publicité La difficulté initiale de la mesure réside dans la définition même de la population musulmane en France. Les estimations varient, l'Insee indiquant 10% des Français métropolitains de 18 à 59 ans en 2019-2020, tandis qu'une enquête de 2014 mentionne 3%. Les auteurs estiment quant à eux 5,4 millions de personnes « se déclarant musulmanes » dans l'Hexagone, aboutissant à 195 000 expatriés musulmans, malgré l'invérifiabilité de cette hypothèse. La suite après cette publicité Les lacunes dans les données sur l'expatriation sont nombreuses, l'Insee ne collectant pas d'informations sur l'appartenance religieuse. Les chiffres des pays d'accueil présentent également des défis, l'inscription consulaire n'étant pas obligatoire. Ainsi, « seule une partie des Français se trouvant à l'étranger est connue des services statistiques et consulaires », explique une note de l'Institut statistique. Les auteurs soutiennent toutefois une augmentation « en flèche » des départs, avec 68% des répondants « partis depuis 2015 », attribuée en partie à « une islamophobie » exacerbée par les attentats, « une exception française », selon Olivier Esteves. Deux co-auteurs liés au CCIF L'absence de données précises du livre a notamment interpellé le site identitaire Français de souche, qui a accusé les deux des écrivains, Olivier Esteves et Julien Talpin, d'être liés au Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF). L'association, qui était pointée du doigt pour sa proximité supposée avec l'islamisme radicale, a été dissoute par les autorités en 2020. La suite après cette publicité La suite après cette publicité De fait, Olivier Esteves écrivait dans un billet de blog sur Mediapart datant de 2020 en avoir été membre : « Pendant des années j’ai été membre du Collectif Contre l’Islamophobie en France (C. C. I. F), qui fournit un travail important de défense d’une minorité stigmatisée, le plus souvent à travers la conciliation ». Julien Talpin, universitaire du CNRS, avait lui donné plusieurs conférences en présence de représentants du CCIF et plaidé, dans une tribune, contre sa dissolution. Ils ont été invités sur tous les plateaux toute la semaine , tous les journaux ont repris : pas un journaliste n'a évoqué le lien avec les islamistes du CCIF alors qu'il suffisait de googliser 10 secondes.https://t.co/8YpVcudbfT — Pierre Sautarel (@FrDesouche) April 28, 2024 Entre autres personnalités médiatiques montées au créneau contre La France, tu l'aimes mais tu la quittes, Ferghane Azihari, directeur de l'Académie libre des sciences humaines et chroniqueur au Point, dénonce l'incapacité des auteurs à « quantifier le phénomène » d'exil des musulmans français. « Les auteurs concèdent que leur calcul paraît “hasardeux”, mais tempèrent cette dimension hasardeuse en soulignant la “conscience diasporique” qu'ils ont décelée en s'entretenant avec ces musulmans expatriés qui insistent “sur le nombre important de leurs compatriotes et coreligionnaires ayant quitté la France”. (Une autre variante de “source : crois-moi”) », écrit-il sur le réseau social X. Alors, j'ai lu cette « enquête » à charge de @JulienTalpin, Alice Picard et d'Olivier Esteves qui dépeint la France comme un enfer islamophobe et qui est présentée ici avec beaucoup de complaisance par Monsieur Aphatie. Comme nous allons le voir, cet ouvrage, par sa méthologie,… https://t.co/3m2uhr9vB9 — Ferghane Azihari 🌐 (@FerghaneA) April 28, 2024 « Fait encore plus grave, les auteurs restent muets sur les populations en provenance du monde musulman qui entrent chaque année dans cet enfer islamophobe qu'est cette France si intolérante à la diversité. N'est-ce pas là une donnée à prendre en compte quand on veut évaluer l'attractivité d'un pays aux yeux d'une population donnée ? », déplore-t-il encore. Il pointe également du doigt l'influence du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) dans la confection, par le partage d'un appel à témoignages par le fondateur de l'association, et diffusion de l'enquête, sans rappeler son passé controversé. « L'art de hiérarchiser les oppressions » Ferghane Azihari regrette entre autres le manque de diversité des témoignages et la présence de militants informés. Selon lui, les témoignages mettent en lumière un rejet sélectif de la société française, sans critique des sociétés d'origine des répondants. Il souligne des contradictions dans les motivations des expatriés. « On a aussi donc ce brave Majid, rencontré plus haut, qui a fait l'expérience du racisme dans l'armée française, qui signale que ses enfants « ne supportent plus cette mentalité française [raciste et islamophobe]. Ah, j'ai oublié de vous dire que Majid réside désormais en Arabie saoudite où il est plutôt content (…) En effet, le racisme qui sévit en France est insupportable. Tandis que la lapidation est regrettable. L'art de hiérarchiser les oppressions », ironise le membre de la société d'économie politique. L'essayiste conclut en considérant que les musulmans français qui « préfèrent la victimisation à la lutte contre les trop nombreuses anomalies que leur religion enfante » ne sont pas une perte pour la France.