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Comment la bienveillance peut tuer votre entreprise

Comment la bienveillance peut tuer votre entreprise ✍Highlight–2024:11:11:13:47:40

Comment la bienveillance peut tuer votre entreprise

En management comme dans beaucoup d’autres domaines, l’enfer est pavé de bonnes intentions. La bienveillance, devenue un impératif dans de nombreuses organisations, est de celles-ci. Sous couvert d’indulgence, elle interdit la critique et invisibilise les individus. Elle est une forme de violence qui corrode le collectif.

Dans cette PME d’une cinquantaine de personnes, la bienveillance était de rigueur. Tout le monde se tutoyait, bien-sûr. Quand quelqu’un faisait une bourde, personne ne lui en faisait reproche, chacun prétendait que rien ne s’était passé. Peu à peu, la qualité s’est dégradée. Les critiques de certains clients se sont faites plus nombreuses et l’ambiance s’en est ressentie, mais la bienveillance obligée empêchait toute recherche de responsabilité. Surtout, il ne fallait pas heurter la sensibilité de celui ou celle qui avait mal fait son travail. Respecter, avant tout, le modèle mental « Il faut faire preuve de bienveillance ». Peu à peu, la pression a augmenté sur les collaborateurs qui étaient en contact direct avec la réalité (clients, partenaires et fournisseurs) qu’ils ne pouvaient, eux, pas ignorer. Ceux qui soulignaient les dysfonctionnements se sont fait rapidement stigmatiser comme « pas bienveillants » et ostraciser. Les premiers burn-out ont fait leur apparition. Le choc fut réel pour la direction générale : « Comment un burn-out est-il possible alors que nous sommes bienveillants ? » Ces signaux étaient en somme l’incarnation du conflit créé par deux intentions, celle d’assurer un bon niveau de qualité de prestation pour ses clients, et celle, beaucoup plus inconsciente, de maintenir ce modèle mental identitaire, invisible, mais omniprésent, « être bienveillant ». Quelques années plus tard, l’entreprise n’était plus que l’ombre d’elle-même, avec un chiffre d’affaires divisé par trois et un fonctionnement proche de la subsistance. Elle n’a jamais été capable d’affronter ouvertement son modèle de bienveillance.

La bienveillance est une forme de mépris

La bienveillance est définie comme une disposition d’esprit inclinant à la compréhension, à l’indulgence envers autrui. Si l’on comprend aisément pourquoi elle est louable, elle pose cependant de sérieux problèmes aux niveaux individuel et collectif quand elle prend des formes excessives.

Au niveau individuel, l’excès de bienveillance est une forme de paresse. Je ne fais pas l’effort de critiquer le travail d’un autre; je laisse faire et je laisse passer, c’est plus facile pour moi de prétendre que tout va bien. Il est également une forme de mépris; une façon de signifier que la personne ne compte pas pour nous, qu’au fond nous nous fichons de son travail, ou que la médiocrité de celui-ci ne nous affecte pas au point de nécessiter une critique. L’absence de critique au nom de la bienveillance est une violence insidieuse mais profonde lorsque cette personne, tout aveugle qu’elle puisse être, finit par s’en rendre compte. Au contraire, la critique constructive est une marque de respect: faire attention aux choses – comment elles fonctionnent, ce qu’elles font, comment les gens y réagissent – et à ceux qui les font, est une marque de respect, d’abord de la réalité et ensuite des individus concernés, même si parfois vous êtes amené à dire que celles-ci sont imparfaites, voire franchement mauvaises. 

Dans la PME citée plus haut, l’une des dirigeantes n’était clairement pas au niveau de son poste, mais elle était l’incarnation même du modèle mental: toujours de bonne humeur, très gentille, la bonne copine en bref. La direction était incapable d’agir, enfermée dans sa « bienveillance ». La situation perdurait, les blagues fusaient, les allusions insidieuses se multipliaient, nombreux étaient ceux qui se plaignaient discrètement, tout en continuant à être parfaitement bienveillants, c’est-à-dire hypocrites, avec elle. Un jour, elle a brutalement pris conscience de ce que les gens pensaient d’elle, mais n’avaient jamais osé lui dire, et elle a fait un burn out. Elle a quitté l’entreprise sans que la direction n’ait à la licencier, au grand soulagement de cette dernière, qui a pu ainsi prétendre qu’elle était partie suite à un problème de santé. Le modèle mental « on est bienveillants » a pu être préservé, mais à un coût très élevé pour l’organisation (et naturellement pour la personne en question).

La bienveillance corrode le collectif

Le second problème de cette bienveillance est au niveau du collectif. Nous avons hérité des Grecs l’idée que la critique constructive est le seul moyen pacifique de réguler un collectif pour lui permettre de persévérer dans son être et de progresser. Avec l’absence de critique, les possibilités d’améliorations disparaissent. Peu à peu la médiocrité s’installe, tandis que se développe une culture de l’excuse et du « c’est la faute à pas de chance ». Chacun en est plus ou moins conscient, mais comme la critique est impossible, le collectif s’enfonce dans le mensonge et l’hypocrisie. Par les valeurs qu’il a développées, il pénalise la critique. La forme l’emporte sur le fond. C’est d’ailleurs souvent le cas. Au regard de l’évolution humaine, il a souvent mieux valu mieux avoir tort avec son groupe que raison tout seul, parce que c’est le groupe qui a assuré la survie de l’individu.

L’absence de critique est une forme de mensonge, et le mensonge est un cancer qui ronge un collectif. C’est ce que Vaclav Havel a observé à propos des régimes communistes: lorsqu’il est devenu évident que ces régimes ne fonctionnaient pas, leurs dirigeants ont proposé un pacte tacite aux citoyens: vous faites semblant de ne rien voir des dysfonctionnements en prétendant que tout va bien, et nous vous laissons tranquille. En préservant la forme, et en neutralisant les critiques, ces régimes se sont acheté une vingtaine d’années de tranquillité, mais ont empêché toute réforme; le cœur ainsi dévitalisé a rendu leur effondrement inévitable.

Ces dernières années, avec le développement du politiquement correct et de la pensée « woke », il est devenu encore plus difficile de critiquer quelqu’un, surtout lorsque cette personne fait partie d’une « minorité », du moins de celles qui sont officiellement étiquetées comme telles. A cet égard, le slogan « Les mots sont une violence », omniprésent, est très problématique: les mots sont au contraire le moyen qu’a inventé l’humanité pour régler ses différends sans violence. Sans les mots, il reste la mort lente (les burn-outs dans l’entreprise citée ci-dessus) ou la violence (les affrontements dans la rue).

Eviter ce piège de la bienveillance ne signifie naturellement pas devoir être malveillant. Cela signifie la conscience que la préservation de la forme au dépend du fond a un coût élevé; être bienveillant devrait signifier être capable de critiquer de façon constructive précisément parce qu’on se soucie et du travail qui fait l’objet de notre critique, et de la personne qui l’a accompli, et du collectif dans lequel ce travail prend place. C’est donc une question éthique. Je te critique parce que je te vois et que ton travail compte pour nous.

Critiquer de façon constructive est par ailleurs une marque d’humilité: critiquer, c’est exposer son jugement à l’autre au lieu de le garder pour soi. C’est prendre le risque d’être contredit par la réponse de la personne dont on critique le travail, ou par les autres. C’est donc s’ouvrir soi-même à la critique et à devoir rendre des comptes. Critiquer, c’est aussi une prise de responsabilité; c’est apporter une contribution essentielle au collectif. Encore faut-il que celui-ci l’accepte et le valorise.

Que faire?

Notre époque semble prisonnière entre deux extrêmes: le silence du politiquement correct qui ne veut heurter aucune sensibilité et jette une chape de plomb sur les organisations, et la critique tous-azimuts qui se délecte dans les provocations. Ces deux extrêmes représentent les deux faces d’une même pièce, celle qui refuse d’affronter la réalité et se réfugie dans le verbiage plus rentable socialement. Ils se nourrissent l’un l’autre: plus on interdit d’évoquer des sujets qui peuvent fâcher, moins on se donne les moyens de régler les problèmes, et plus il y a pour certains à gagner à les évoquer. Contre ces deux extrêmes, il faut redécouvrir l’art de la critique argumentée. Il faut y être honnêtement engagé. C’est ça, la vraie bienveillance.

✚ Sur le même sujet on pourra lire mon article précédent: L’enjeu collectif: Devez-vous autoriser votre stagiaire à arriver 30 minutes plus tard?

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admin/notes/comment_la_bienveillance_peut_tuer_votre_entreprise-c0e5700899df4afa.txt · Dernière modification: 04/02/2025 de jeannot